Pour son premier long-métrage, Ellen Kuras porte à l’écran le destin bouleversant de la photographe Lee Miller, incarnée par la charismatique Kate Winslet. Un hommage réussi à cette icône de la photographie du XXe siècle, figure majeure du surréalisme et du reportage de guerre.
Sa vie, c’est bien vrai, est digne d’un scénario de film. Mannequin à la beauté hypnotique, muse et photographe surréaliste, intrépide reporter de guerre…
Après de récentes expositions aux Rencontres d’Arles (en 2022) et à Saint-Malo (jusqu’au 3 novembre à la chapelle de la Victoire), voilà le destin hors norme de Lee Miller (1907–1977) désormais porté à l’écran par la réalisatrice Ellen Kuras et Kate Winslet, rôle-titre et productrice de ce long-métrage.
Allers-retours temporels
Le film se concentre surtout sur l’expérience de la guerre – un épisode douloureux qui a durablement marqué la photographe.
C’est sous une pluie de bombes que s’ouvre le film. Armée de son Rolleiflex, Lee Miller sillonne la ville assiégée de Saint-Malo alors pilonnée par les alliés. Une explosion, un trou noir, puis l’on retrouve la photographe des décennies plus tard, à Farleys House en Angleterre. Ridée, la cigarette à la bouche, un verre d’alcool toujours à portée de main, elle se décide enfin à raconter ses souvenirs après de longues années de silence.
Plutôt que d’opter pour la narration linéaire du biopic, le film multiplie les allers-retours temporels, et se concentre surtout sur l’expérience de la guerre – un épisode douloureux qui a durablement marqué la photographe, au point de lui faire renoncer à poursuivre ses activités une fois la paix retrouvée.
De l’insouciance à l’horreur
Difficile d’imaginer l’horreur dont Lee Miller sera témoin lorsqu’elle rejoint, durant l’été 1937, ses amis surréalistes en vacances non loin d’Antibes. Alors que le monde s’apprête à sombrer dans la guerre, l’heure est à la rigolade, à la fête et à l’amour avec le peintre Roland Penrose, qui deviendra son mari. Quelques années plus tard, voilà que ses clichés font mouche dans les pages du Vogue britannique, en plein blitz. Loin d’être déconnectée du réel, la presse féminine se fait l’écho de ces temps troublés. Lee Miller participe à sa manière à l’effort de guerre. Mais pour la photographe au tempérament bien trempé, ce n’est pas assez.
Portrait de Lee Miller en Normandie (1944)
Elle parvient à se faire accréditer par l’armée américaine et débarque en Normandie avec les troupes. Soldats mutilés, femmes tondues, civils hagards… À travers l’œil de la photographe, le spectateur plonge dans l’horreur jusqu’à la plus insoutenable : la découverte des camps de Buchenwald et de Dachau. Lee Miller et son acolyte David Scherman (interprété par Andy Samberg), envoyé par le magazine Life, seront les premiers photographes à pénétrer avec l’armée américaine dans ces charniers. Un choc qui la hantera pour le reste de sa vie bousillée par la dépression et l’alcoolisme, triste conséquence de ce que les médecins appelleraient aujourd’hui un stress post-traumatique et montré sans fard à l’écran.
Des clichés fidèlement reconstitués
Outre l’interprétation impeccable de Kate Winslet, la grande force du film d’Ellen Kuras tient du fait qu’il est le fruit d’une étroite collaboration avec Antony Penrose, fils de la photographe et auteur de la biographie Les Vies de Lee Miller. Celui qui ignora tout du passé de sa mère jusqu’à la découverte fortuite, après la mortde cette dernière, de clichés entassés dans le grenier de la maison familiale, est depuis très impliqué dans la reconnaissance de son travail.
l a ainsi ouvert ses précieuses archives aux équipes du film, qui ont pu fidèlement reconstituer à l’écran des dizaines de photographies – la plus bluffante restant le célèbre portrait de Lee Miller posant dans la baignoire d’Hitler, dans une mise en scène à la banalité glaçante (réalisée avec la complicité de David Scherman). Un exercice périlleux, qui est pourtant ici brillamment maîtrisé. Ainsi portée sur grand écran, l’œuvre de Lee Miller ne paraît que plus époustouflante encore.